L’ornement, métier d’exception
Jean Pierre Lebureau, Meilleur Ouvrier de France depuis 2015, exerce un métier peu commun : il crée ou recrée des ornements de toiture en métal, et spécialement en métaux non ferreux, tels que le zinc, cuivre, ou plomb.
Nous avons rencontré cet ornemaniste de renom, professionnel des toits de la capitale, qui nous a raconté son parcours et nous a livré sa vision des hauteurs parisiennes.
Jean-Pierre, pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ?
J’ai toujours été attiré par la création artistique sous toutes ses formes, notamment le dessin, et cela depuis que je suis enfant. Mais je n’ai pas pu m’orienter directement dans cette voie et je me suis retrouvé dans un lycée technique pour étudier la chimie, ce qui ne m’intéressait pas vraiment.
Pour gagner un peu d’argent pendant les vacances je travaillais chez un couvreur, et j’ai découvert un métier passionnant, à la fois technique et très créatif. J’ai continué à travailler dans la couverture jusqu’à mes 18 ans pendant les vacances scolaires, j’y ai trouvé une autre famille, avec cet esprit si particulier qui règne dans le milieu du bâtiment. Le Patron m’a proposé un emploi d’aide-couvreur à la fin de ma scolarité. Les Anciens m’ont transmis peu à peu leur savoir-faire, Le travail du métal en feuille s’est vite affirmé comme mon domaine de prédilection. puis je fus responsable d’équipe à 22-23 ans.
Au milieu des années 1980 je suis rentré dans une entreprise spécialisée dans les monuments historiques en Dordogne. On me confiait volontiers des travaux qui étaient en dehors du métier de couvreur, comme réaliser un épi pour une demeure historique, ou une gargouille pour une cathédrale, parce que j’avais montré ma capacité à créer des choses qui sortaient de l’ordinaire, d’après un simple croquis de l’Architecte. Je me suis donc consacré aux les ornements de toiture et je suis rentré en 1991 dans une entreprise spécialisée située en Ile de France .
Il me fallut approfondir davantage mes connaissances en géométrie descriptive., surtout, à laquelle fait beaucoup appel le travail d’ornemaniste, car il faut, pour réaliser une pièce, maîtriser le dessin technique.
Je pus ainsi me confronter à la réalisation de pièces complexes, grâce à la technique de formage traditionnelle, que je pratique, au moyen de marteaux et de maillets, tas, aux formes appropriées. La maîtrise de ces techniques, indispensables pour la réalisation de pièces uniques ou en très petites séries, sont utilisées dans les divers métiers ou la maîtrise du travail du métal en feuilles est requise.
C’est l’expérience des années, et les chantiers techniquement difficiles, qui forment. Avoir exercé le métier de couvreur pendant la première partie de ma carrière est un avantage certain, surtout pour prendre en compte des problèmes assez techniques comme l’intégration de l’ornement dans la toiture, l’étanchéité, etc. On peut plus facilement replacer l’ornement dans son contexte, savoir qui le posera et dans quelles conditions. Connaître l’univers des toits est essentiel car on ne peut pas être ornemaniste et ne connaître que l’atelier. Une collaboration avec le couvreur est primordiale, notamment pour obtenir un maximum d’informations sur l’ouvrage à reproduire, afin que l’ornement soit posé dans des conditions optimales.
Que retenez-vous de votre ancienne activité de couvreur ?
Ce qui ressort de mon expérience de couvreur, c’est l’esprit d’initiative, d’autonomie, de rigueur et bien sûr la créativité que j’y ai développés. C’est loin d’être un métier où l’on « pose » seulement les, matériaux : leur mise en œuvre est complexe, laquelle est maîtrisée grâce à un travail en amont de traçage, de réflexion, de gestion du chantier, etc.
Qu’est-ce qui vous plait le plus en tant qu’ornemaniste ?
Ce qui me plaît dans mon métier, c’est me demander, lorsque je suis face à une pièce exceptionnelle, comment vais-je pouvoir m’y prendre pour le refaire à l’identique ? Il y a toujours un défi : il faut quelquefois créer des outils, se demander quelle est le procédé le plus adapté…
« Lorsqu’on fait appel à mes services pour des œuvres d’exception je sais que je vais trouver en moi les ressources pour relever le défi. »
Pendentif sous coupole du Grand Palais, restauration du recouvrement cuivre du Pont au Double (Parvis de Notre de Dame de Paris), réalisation d’un Blason, cornes d’Abondance et Caducée de Mercure sur la Tour de l’Horloge de la, Gare de Lyon, Épis sur le Pavillon Tournebride du Château de Vaux Le Vicomte… ce sont des références prestigieuses ! Comment abordez-vous ces chantiers d’exception ?
Je les aborde avec beaucoup d’humilité, cela va sans dire ! La Gare de Lyon comme le Grand Palais furent des aventures techniques mais aussi humaines. Lorsqu’on fait appel à mes services pour des œuvres d’exception je sais que je vais trouver en moi les ressources pour relever le défi.
Qu’est-ce qui vous plait lorsque vous entreprenez un nouveau projet ?
Chaque chantier est une aventure technique et humaine très enrichissante… lorsque la confiance s’installe entre les différents intervenants et le Maître d’œuvre.
Quel ont été vos plus gros challenges ?
Mes deux plus grands défis ont été la Gare de Lyon et le Grand Palais. Le challenge pour le Grand Palais a été de créer un pendentif sous coupole de 6 mètres de haut qui n’existait pas auparavant, n’ayant jamais été réalisé faute de temps lors de la construction de l’édifice. Pour l’ornement de la Gare de Lyon, je n’avais pas de modèle à reproduire, il m’a fallu créer un ornement à partir d’une photo ancienne et un croquis d’époque. L’ouvrage a entièrement été réalisé à la main. Pour démarrer et avoir une idée des proportions, un ami sculpteur m’a réalisé un modèle de corne d’abondance, et de quelques fruits. Quand il a commencé à voir les résultats de mon travail il m’a dit : « tu vois, tu es sculpteur ! ». Mais je ne me vois pas en tant que tel.
Quant à la qualité du résultat, elle est le fruit de la collaboration entre les différents intervenants, mon contrat est rempli quand le Maître d’œuvre et Maître d’Ouvrage me font part de leur satisfaction !
C’est dans ce style de créations d’ornements que je trouve vraiment l’épanouissement dans ma profession. Il ne s’agit plus de faire des ornements de couverture, c’est de la création de décor architectural.
Restez-vous dans votre atelier ou cela vous arrive-t-il de monter sur les toits ?
Bien sûr je fabrique dans mon atelier, mais cela m’arrive très souvent pour certains ouvrages, d’aller sur les chantiers avant la dépose, une bonne collaboration avec l’entreprise de couverture qui va faire la pose des ornements est indispensable !
S’agit-il uniquement de ‘restauration’, de ‘reproduction’ ou pouvez-vous proposer des choses nouvelles ?
Le plus souvent l’Ornemaniste reproduit un travail ;
Je suis en mesure de proposer un véritable travail de création lorsque l’ornement n’existe pas ou a disparu.
Les créations, comme le pendentif sous coupole du Grand Palais ou le Blason de la tour de l’Horloge de la Gare de Lyon, sont quant à elles des pièces exceptionnelles.
Vous travaillez principalement avec des éléments du patrimoine national (œil de bœuf, etc.). Comment voyez-vous notre patrimoine national ? Sentez-vous d’une certaine manière que vous y contribuez ?
La France a un patrimoine exceptionnel. Et il apparaît clairement que Paris est incontournable du point de vue du patrimoine architectural. J’essaie modestement, à mon échelle, de contribuer à préserver et transmettre cette richesse : nous avons reçu, nous devons transmettre, la préservation des savoir-faire et des valeurs qui s’y rattachent c’est une priorité dans l’exercice de notre art.
Avez-vous rencontré des personnalités qui vous ont marqué, inspiré ?
Il y a eu des gens qui m’ont marqué plus que d’autre, car ils étaient passionnés, et en restant très modestes, m’ont aidé à savoir maîtriser le métal ; les couvreurs avec qui j’ai commencé à travailler, même s’ils n’en ont pas conscience, ont contribué à éveiller ma créativité en m’apprenant la technique pour mettre en œuvre des matériaux tels que le zinc. Mais on apprend toute sa vie, on peut dire, en quelques sorte, que je suis en formation continue !
« Un métier comme celui-là, c’est un métier dans lequel on exprime sa personnalité »
Un conseil pour les jeunes, qui souhaitent s’orienter vers ces métiers ?
Un ornemaniste ne peut pas rester un simple exécutant, ça n’a pas de sens. Il devra pendant de longues années apprendre à maitriser les différentes techniques du métier pour devenir autonome. Un métier comme celui-là, c’est un métier dans lequel on exprime sa personnalité, on ne peut pas rester un simple exécutant.
Je vais bientôt accueillir chez moi un jeune comme apprenti en alternance ; il a toujours voulu s’orienter vers un métier artisanal, étant passionné par ce domaine. Mais il va lui falloir acquérir un peu de culture générale. Il doit travailler les cours de français, de mathématiques, d’anglais. Pour apprendre un métier d’art car il faut être curieux, ouvert et volontaire. J’espère que je pourrai donc l’accompagner efficacement.
Vers quel travail avez-vous envie de vous diriger aujourd’hui ?
Mon projet pour l’avenir est d’aller vers des choses exceptionnelles, vers des créations qui constituent mon identité dans le métier. Depuis longtemps déjà je suis sollicité pour réaliser des pièces de mobilier en zinc, des meubles originaux et créatifs, Les projets n’est pas encore réalisé mais j’y pense sérieusement.
Pour vous, les toits de Paris, cela évoque quoi ?
Les toits de Paris constituent mon terrain de jeu, ils forment l’univers dans lequel je me sens bien, car les toits de Paris sont essentiellement faits de zinc, et représentent ainsi l’aboutissement de ce qui m’a toujours fasciné, le travail du métal en feuille. Ce sont ces milliers de toitures, cette promiscuité de toitures imbriquées les unes dans les autres, qui ne cessent de me captiver et de m’inspirer.
Qu’aimez-vous le plus à propos de Paris ? De ses toits ?
Ce que j’aime c’est l’irrégularité des toitures qui se chevauchent, cette forêt de cheminées, de mitrons, de raccords crées au fil du temps et des modifications des édifices, par les ornements de toitures tel que les couronnements de dôme, Œils de bœufs, lucarnes, campaniles, mettant en valeur cet océan de gris-bleuté, qui rend si célèbre les toits de Paris.
Vos lieux pour explorer les toits ?
J’explore les toits quand je me rends sur un chantier, et que d’en haut de l’édifice je contemple le spectacle gigantesque et incroyable des toits… Chaque toit est un univers à lui seul ; chaque toit raconte une histoire.