Des abeilles sur les toits de Paris ? l’idée vous paraît peut-être extravagante, mais c’est bel et bien ce que propose depuis 2010 Apiterra, basée à Angers. Trophée de l’innovation décerné par le conseil régional angevin, l’entreprise compte aujourd’hui dans ses rangs neuf collaborateurs dont six apiculteurs, avec plus de 800 ruches posées en France et en Europe au compteur. Nous sommes allés à la rencontre de Ronan de Kervénoaël, fondateur de ce projet apicole et apiphile, qui nous a redit sa volonté de faire connaître l’abeille, son miel et ses bienfaits aux entreprises urbaines.
Son parcours
Qu’est ce qui vous a amené à faire de l’apiculture urbaine ?
J’ai d’abord effectué un parcours dans une entreprise multinationale, et j’avais en parallèle un projet familial qui était la restauration d’un bâtiment ancien dans l’ouest de la France. C’est à ce moment où je me suis posé des questions sur ce qui m’intéressait vraiment dans la vie : je voulais exercer un métier en province, un métier proche de la nature, dans lequel je pouvais apporter un peu de mon expérience professionnelle. J’ai regardé ce qui correspondait à mes attentes, je me suis donc tourné vers l’apiculture afin de créer Apiterra.
D’où vous est venue cette idée ? La cause des abeilles vous a-t-elle toujours intéressé ?
Il y avait plusieurs choses qui ont poussé mon choix : d’abord je savais que les entreprises étaient sensibilisées à la biodiversité et capables d’investir dans cette activité. Puis ensuite l’abeille en campagne est plutôt bien connue, tout le monde a autour de soi un apiculteur ou quelqu’un qui touche un peu aux abeilles, en revanche en ville les gens ne savent ni ce qu’est réellement une abeille, ni faire la différence entre une abeille, une guêpe et un frêlon.
Il y avait une vraie possibilité de sensibiliser les gens et de faire connaître l’abeille en milieu urbain. C’était surtout une vraie opportunité de pouvoir plaider la survie de l’abeille dans des endroits qui étaient ouverts à l’écoute.
Auriez-vous pensé, lorsque vous étiez Directeur Marketing Vente chez Pernod Ricard ou Directeur Commercial chez Imperial Tobacco qu’un jour vous vous retrouveriez sur les toits de Paris pour installer des ruches ?
Ah non, je n’aurais pas imaginé l’évolution de ma vie comme cela. Je dirai que j’avais une carrière toute tracée en multinationale, mais que le challenge de créer une entreprise à taille humaine et de la développer dans la biodiversité était un nouveau défi que je trouvais très intéressant.
son activité
Quel est le processus nécéssaire pour poser une ruche ?
On a d’abord une prise de contact avec l’entreprise qui souhaite installer une ruche sur son toit ; en tant que chef d’entreprise je valide initialement le projet sur la faisabilité, c’est à dire que j’assure la sécurité pour l’apiculteur et pour le salarié qui intervient sur le toit de l’entreprise. La sécurité reste mon critère de base pour la pose de ruche. La deuxième validation est faite par l’apiculteur lui-même, qui valide le site et en endosse ainsi la faisabilité du projet, car c’est lui qui aura la responsabilité du suivi de la ruche. Je n’installe jamais une ruche sans avoir au préalable le feu vert de l’apiculteur et la certitude qu’il n’y aura aucun risque pour le salarié de l’entreprise.
Quelle est la différence entre des abeilles de ville et des abeilles de campagne?
L’abeille de la ville est plus protégée contre les pesticides que celle de campagne, car désormais la plupart des espaces publics sont sans pesticides; de plus, ces mêmes espaces ont une politique de floraison qui est bien évidemment plus longue dans la durée que celle qu’on peut rencontrer naturellement en campagne. Il y a aussi une chaleur en ville qui est plus importante qu’à la campagne, et enfin la variété florale y est plus riche. Grâce à ces multiples raisons, la mortalité des abeilles est plus basse en milieu urbain.
Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés lors d’une pose de ruche ?
Mes priorités sont l’excellence du soin de la ruche et la satisfaction de l’entreprise pour la production de miel. Apiterra n’est pas dans une logique de performance, et les entreprises comprennent bien que l’objectif principal est la santé et la survie de l’abeille ; nous refusons de produire pour produire, ce qui épuiserait la colonie. Apiterra offre vraiment un travail qualitatif, et ne poursuit pas un objectif de rentabilité avec une production immédiate de miel. Nous proposons une qualité sanitaire assez rare dans la profession, ce qui nous permet de constater des taux de mortalité très nettement inférieurs à ce qui se pratique ailleurs. On a une collaboration extrêmement proche avec un vétérinaire qui vient visiter les ruches de façon spontanée et aléatoire, ce qui nous oblige à entretenir une qualité sanitaire irréprochable pour les ruches. Je me suis beaucoup documenté à ce propos et je me suis rendu compte qu’il était important de segmenter les lieux de pratique, pour ne pas transporter les maladies entre les différents sites. Quand on travaille sur un rucher on fait donc en sorte d’avoir des gants différents d’une entreprise à une autre, de telle sorte que s’il y a une entreprise qui, pour une raison quelconque, a des abeilles malades, on ne transmet pas la maladie à un autre rucher. On essaie vraiment de faire ce qu’il y a de mieux pour les abeilles.
Que pensez vous de l’engouement des entreprises à s’équiper de ruches sur leur toit ? Pensez-vous que cela va durer ?
Il y a un vrai intérêt pour l’abeille et de la part des salariés et de la part des entreprises, je pense qu’on est encore dans une découverte de cette activité, même si l’apiculture est un métier très traditionnel qui existe depuis des centaines d’années et n’a pas évolué dans ses techniques au fil du temps. On a pas du tout atteint une saturation sur ce marché; il y a encore de forts potentiels de développement si le travail que l’on fait est sérieux et ne vise pas uniquement à faire du chiffre d’affaire.
Vous exportez vous dans d’autres pays, d’autres capitales ?
On a commencé notre activité en Belgique au Luxembourg, pays dans lesquels le projet est assez précurseur et va donc bien se développer. Nous avons encore des objectifs de développement dans des pays européens. À partir du moment où le projet est bien construit en amont et présente une certaine crédibilité, il y aura toujours, à mon avis, un potentiel de développement pour Apiterra. Un de nos objectifs est aussi de mettre au point une structure aux Etats Unis, puisque la personne avec qui j’ai fondé Apiterra part s’installer là bas.
Comment l’abeille en ville participe t elle à l’écosystème urbain ?
La meilleure réponse est la pollinisation exercée par l’abeille. L’abeille joue un vrai rôle en ville dans son activité. Systématiquement nous faisons des analyses de pollen et de miel et il nous arrive d’avoir des surprises ! Les abeilles vont butiner dans des endroits parfois improbables puisqu’on trouve des agrumes dans certains miels, ce qui atteste que nos abeilles sont parfois allées chercher des orangers et des citronniers. Apiterra est d’ailleurs installée sur le site historique de Montreuil où se trouvent des murs à pêches, murs construits pour assurer le développement des arbres fruitiers, afin de nourrir la ville de Paris : là elles peuvent y trouver de nombreuses variétés de fleurs.
On pense actuellement à monter un projet de diversité autour de l’abeille et de l’arbre fruitier, pour expliquer aux citadins le fonctionnement de l’univers apicole. Nous proposons déjà des parcours biodiversité qui expliquent au sein de l’entreprise toute la démarche de l’abeille, et cela de la prise du fruit juqu’à la récolte du miel, tout en mettant en avant les bienfaits de l’abeille dans cette diversité florale.
Paris sur les toits
Avez vous des projets de pose de ruche actuellement à Paris, ou sur d’autres monuments français?
On a en permanence des projets d’installation en cours, soit en discussion, soit en réalisation. La première ruche en région parisienne a été à Rueil Malmaison. Apiterra a placé des ruches dans tous les milieux économiques français, aussi bien dans la mode que dans la parfumerie (Loréal, Clarins), dans l’éducation (toits de collège et d’école), dans les travaux publics (Bouygues), dans les médias (Le Point, Canal+), dans les milieux de la Défense…
Nous avons dernièrement mené un projet en collaboration avec les Monuments Nationaux, pour installer des ruches sur des monuments nationaux partout en France ; mais la plupart de nos projets concernent essentiellement les entreprises.
Quelle est la force du miel des toits de Paris ?
La force du miel à Paris est de rapprocher l’abeille et tous ses bienfaits du citadin. Quelqu’un qui mange du miel qui provient du toit de son entreprise a envie d’en savoir plus et de comprendre comment ça marche. C’est pourquoi on organise des séances d’animation ou de formation autour de l’apiculture pour expliquer le fonctionnement de la ruche, de l’abeille et présenter ses bienfaits.
Quelle est la différence entre le miel parisien et le miel d’autres villes ?
Le Miel est comme le vin, c’est une question de goût et de palais. De même que certaines personnes péfereront un Bordeaux à un Bourgogne, on peut préferer un miel de lavande à un miel d’une provenance différente. A Paris, il y a une richesse florale qu’on ne trouve pas à la campagne, grâce à la multitude et la variété des fleurs des jardins publics, ou des balcons cultivés par les particuliers. Le miel de Paris peut avoir un goût différent en fonction du quartier et de l’endroit où les abeilles sont allées polliniser. À chaque terroir son miel, avec une couleur et des saveurs qui lui sont propres.
Y-a-t’il une valeur ajoutée ‘Miel de Paris’ ? Intrinsèquement, ce miel est-il de meilleur qualité ?
Le niveau de pesticide étant inférieur en ville, on peut imaginer par conséquent que la qualité intrinsèque du miel est supérieure. On effectue des prélèvements pour calculer les niveaux de métaux, de pollution qui peuvent être présents dans le miel, et les résultats sont toujours à des niveaux extrêment inférieurs aux taux permis pour la vente. L’abeille est un filtre naturel, puisqu’elle régurgite la pollution. Les gens ont souvent du mal à réaliser que le miel est 100% naturel : c’est un des seuls produits qui soit totalement consommé comme tel, sans aucune transformation ni traitement de la part de l’homme.
D’un point de vue branding, y voyez-vous des opportunités, un potentiel ou un capital marque ?
Il y a et il y aura toujours du potentiel pour une marque venant de Paris, mais je pense que le plus important à faire aujourd’hui est de sensibiliser et d’éduquer les gens, à la campagne ou en ville, sur la qualité, la consistance, l’origine des miels avant d’arriver à vraiment développer une marque Miel de Paris. Avec le temps et l’intérêt que les gens ont pour l’abeille, on va peu à peu réussir à faire connaître la diversité des miels et leurs subtilités en fonction de leur provenance. On organise des dégustations de différents miels, pour montrer qu’il y a des goûts, des couleurs différents selon les pays, exactement comme le vin : en fonction de sa terre, de son cépage, de son ensoleillement, le résultat ne sera pas le même. Pour le miel, il sera différent en fonction des fleurs, de la période, etc.
D’ ailleurs, on consomme actuellement 40 mille tonnes de miel par an en France, alors qu’on n’en produit que 12 mille tonnes, ce qui veut dire que plus de la moitié du miel est originaire de pays étrangers… il y a donc une forte demande en France, ce qui est propice au développement de notre activité.
Pour vous, quel est l’univers des toits parisiens ? Que représentent-ils pour vous ?
On ne peut être que touché par la beauté des toits de Paris. J’ai la chance d’aller à presque toutes les installlations de ruche et parfois la vue est surréaliste tant elle est belle. Lorsqu’on voit les ruches sur les toits, le panorama est tout simplement incroyable, on porte ainsi sur Paris un regard neuf que l’on n’a pas l’habitude d’avoir au quotidien.
J’aime à penser que les abeilles aient la possibilité d’exister dans un univers pareil, et puissent évoluer dans ce cadre.
Qu’est ce que cela raconte des toits ?
Mettez vous un instant à la place d’une abeille qui est en train de découvrir les balcons, les jardins publics, sa ruche… Elle a un rayon de butinage de 3 à 4 kms, vous rendez vous compte de tout ce qu’elle peut découvrir aux alentours de son emplacement initial ? Si un jour on arrivait à mettre une caméra sur le dos d’une abeille et que l’on pouvait visualiser le film de sa journée, je pense qu’on en serait tout simplement émerveillé.